Maxime Chazalet

Rencontre, théâtre, événement

Maxime Chazalet habite à Aubervilliers depuis trois ans, et suit de près le projet du CDN La Commune en s’engageant notamment dans des ateliers de théâtre pour les jeunes gens, et dans l’École des Actes(1). Elle a fait partie du Collectif des 4 chemins (collectif de metteur(e)s en scène à Aubervilliers) entre 2014 et 2017.

Après une formation universitaire suivie à Montpellier, elle créée avec quelques amies de théâtre la compagnie StückThéâtre dont elle est la metteure en scène.

Privilégiant un théâtre de texte, Maxime Chazalet cherche, avec patience et douceur, les conditions pour que surgissent quelques orientations bonnes pour tous, aujourd’hui, et pour nous aider à nous constituer comme sujet.

 

Pour quelle(s) raison(s) avez-vous acceptée de participer aux Rencontres Recherche et Création dans le cadre du Festival des Idées ?

C’est un cadre favorable pour se risquer à une forme inhabituelle et se laisser surprendre. La proposition était nouvelle pour moi : partager une question avec un chercheur et s’y atteler en inventant un dispositif propice pour penser ensemble et rendre partageable ce chemin.

La recherche a une place importante dans le travail que je mène avec ma compagnie, et je trouve cela joyeux d’ouvrir la discussion avec un chercheur, et assez stimulant d’interroger le cadre conférencier en y attelant la question théâtrale : comment rendre visible et partageable le moment fragile où une pensée se construit, où des intuitions surgissent.

Quelle place accordez-vous à une démarche que vous qualifieriez de scientifique dans votre pratique artistique ?

Si je définis scientifique comme un processus qui rend possible la transformation des coordonnées existantes en proposant de nouvelles définitions, de nouveaux paramètres ; et qui fait l’étude, l’examen d’une question ou d’un problème en avançant par hypothèses successives et toujours potentiellement remises en question, alors, cela a une place centrale dans ma pratique.

Il y a aussi une part sensible très importante, il est pour moi indispensable de se positionner en intériorité des questions, et de trouver un va-et-vient entre intériorité et extériorité, ou bien, dit autrement, entre subjectivité et objectivité.

Je travaille toujours à partir d’un texte, théâtral ou non théâtral. Ce texte, je lui pose une question d’une certaine manière, et je cherche ce qu’il ouvre pour nous aujourd’hui. C’est comme une « enquête » avec les comédiens, une enquête sans surplomb et sans a priori, jamais figée, qui nous conduit (si on travaille bien) au surgissement de quelques intuitions nouvelles et qui transforment ce que nous pensions, notre regard sur les choses.

Qu’est-ce qu’une rencontre selon vous ?

Un événement, c’est-à-dire quelque chose qui surgit et qui ouvre un possible qui n’était pas disponible avant. Cet événement fait entrer de l’inconnu et de la nouveauté. Je crois qu’elle conduit forcément à une transformation, qu’elle soit petite ou grande, et qu’elle garantit que les choses, les gens, ne soient pas figés.

Selon cette définition, que pourrait faire surgir de nouveau une rencontre, voire une collaboration, entre artiste et chercheur ?

Cela permettra d’ouvrir de nouvelles possibilités dans l’étude de la question. Je pense que le dialogue est propice pour éclairer la question différemment et faire apparaître de nouvelles entrées, ce qui permettra sans doute de préciser ma propre pensée, et d’élaborer une pensée commune sur la question.

Au-delà du topique selon lequel tout artiste est nécessairement un chercheur, qu’est-ce qui caractérise selon vous la recherche singulière qui se manifeste dans la création artistique ?

Pour moi, l’art, et plus spécifiquement le théâtre, cherche à dénouer (sans écraser la complexité et les contradictions internes) deux grandes questions : qu’est-ce que l’homme ? Et comment vivre ensemble ? Il cherche à penser le monde dans lequel on vit, notre existence, notre humanité sous la condition de leur transformation : il invente de nouvelles manières d’être ensemble, de nouvelles formes pour la vie, et fait lever l’intuition d’une capacité nouvelle, à la fois individuelle et collective. Les opérations de la création artistique touchent à la question de la représentation : qu’est-ce que je montre, comment, et à quelles fins ?

De plus, pour exister, la création artistique, doit rencontrer un public. La question de l’adresse est un de ses enjeux : à qui ? Comment ? Quelle est la relation acteur/spectateur ?

En travaillant sur l’apprentissage de la Danse (Cf .Jehanne Dautrey « Pour une pensée sauvage de la recherche en art », MF, octobre 2010), Bergson faisait l’hypothèse que la recherche de l’artiste procède d’un effort qui transforme aussi bien le sujet que l’objet, la pensée que la matière. Quelle est votre pensée sur cette hypothèse quant à votre propre discipline ?

Transformer nécessite qu’on ne prenne pas pour immuable ce qui est existant, cela demande un effort pour entrevoir d’autres possibilités. Cet effort, ce travail, est la tâche de l’artiste : formuler des hypothèses, avancer pas à pas, faire des tentatives, inventer de nouveaux outils… Cela conduit à des opérations fortes sur le plateau qui, je pense, devraient amener à une transformation à la fois des acteurs, des spectateurs, de la lecture communément admise du texte (si texte il y a), du médium – le théâtre- , et par extension du monde lui-même.

Le Misanthrope en résidence de création / Le CentQuatre-Paris / avril 2017.

(1) Le fonctionnement de l’École des Actes repose sur un concept innovant, alliant et articulant connaissance en sciences humaines et pratique des arts vivants (théâtre, danse), mais aussi sur une approche de l’apprentissage révolutionnaire et ambitieuse dans la mesure où est posée l’hypothèse suivante : que chacun peut être source de savoir pour les autres. L’École des Actes vise à favoriser l’insertion des jeunes en développant leurs capacités à agir. (retour au texte)

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